-
Conseillé par Yv24 mai 2013
Jusque là je n'avais pas encore lu Mathias Énard, ce qui est bien fait pour moi. Je ne sais pas pourquoi je n'avais pas osé ouvrir un de ses livres, parce que la surprise fut bonne, excellente même. Ce tout petit roman est certes court mais intense. Si les questionnements ne sont pas nouveaux : la mort, l'amitié, l'amour, l'alcool, la drogue, le début de la vie d'adulte, les tourments de jeunes gens mal dans leur peau, dans leur vie et dans la société, ... la manière de les mettre en page est tout simplement magistrale. Une écriture belle, de longues phrases qui peuvent tour à tour être lentes lorsqu'elles décrivent les superbes -ou très moches- paysages russes et leur histoire :"J'irais bien sur le Bosphore après une croisière sur la Volga, descendre le fleuve jusqu'à Astrakhan au nord de la mer Noire, puis me laisser glisser doucement vers Istanbul, on verrait Kazan et Stalingrad, deux batailles russes ; on verrait l'île où s'installa Ivan le Terrible avant de prendre Kazan et de mettre fin au khanat héritier de la Horde d'or, terminée la domination mongole en Russie, place à l'encens, aux moines et aux popes barbus." (p.44) ou rapides lorsque le narrateur parle de ses affres de ses doutes et de ses douleurs : "... j'avais vingt ans quand j'ai lu ce livre Vlad, vingt ans et j'ai été pris d'une énergie extraordinaire, d'une énergie fulgurante qui a explosé dans une étoile de tristesse, parce que j'ai su que je n'arriverais jamais à écrire comme cela, je n'étais pas assez fou, ou pas assez ivre, ou pas assez drogué, alors j'ai cherché dans tout cela, dans la folie, dans l'alcool, dans les stupéfiants, plus tard dans la Russie qui est une drogue et un alcool j'ai cherché la violence qui manquait à mes mots Vlad, dans notre amitié démesurée, dans mes sentiments pour Jeanne, dans la passion pour Jeanne qui s'échappait dans tes bras..." (p.42)
M. Énard parle formidablement bien du sentiment amoureux, de l'amitié, de la jalousie du manque d'une personne aimée. S'y ajoute la défonce, drogue et alcool, nécessaire pour ces jeunes gens pour surmonter leur difficulté à vivre tout simplement. Et les petits -ou gros- plus ce sont d'une part les paysages russes enneigés, pas toujours très beaux, certains étant de simples vestiges de l'époque communiste, blocs de béton abandonnées, murs de goulags, d'autre part les pans d'histoire de ce pays qu'il insère entre deux descriptions, entre deux questionnements des héros et enfin, les souvenirs de lecture des grands écrivains russes, eux qui ont su donner de leur pays une image forte et ont su écrire sur la fameuse âme slave.
Eh bien que me reste-t-il à dire ? Que je relirai très certainement M. Énard qui m'a enchanté dans ce récit très nostalgique et mélancolique, que j'espère que le plaisir sera de nouveau au rendez-vous de ma prochaine lecture.