"Rarement une histoire aura fait l'objet d'une telle introspection, de l'autopsie aussi rigoureuse d'une mère et d'un enfant qui se perdent" (4ème de couverture) Après avoir recopié cette phrase, je pourrais m'arrêter là et ne rien ajouter, tellement à elle seule elle résume ce petit (134 pages) livre. Mais, bon, ce ne serait pas très correct de ma part, et puis "çal'fait pas" un article de 2 lignes, c'est pas sérieux, alors je vais tenter de remplir mon billet.
Jon attend sa maman. Il attend qu'elle s'occupe de lui : lorsqu'il est le narrateur, il parle de sa mère. Vibeke ne parle jamais de Jon, n'y pense même pas tout au long de cette nuit : "Elle [Vibeke] regarde autour d'elle, elle ne le [l'homme avec qui elle sort ce soir] voit nulle part. Elle voit un couple qui se dispute, la bouche de la fille est en mouvement perpétuel, de temps en temps l'homme dit quelque chose, quelque chose de bref qui ne fait que relancer la fille. Elle décide de regarder ailleurs. Rien ne doit gâcher sa joie et le grand silence qui l'envahit." (p.94). Elle n'éprouve rien, aucun scrupule d'avoir laissé son fils seul, voulant garder "sa joie" d'être là. Jon, lui attend son gâteau et rêve du train électrique qu'il veut pour ses neuf ans. Il erre seul, dans la ville totalement enneigée.
Hanne Orstavik ne juge pas ses personnages, elle se contente de raconter leur soirée, d'entrer dans leurs esprits pour nous transmettre leurs pensées, leurs désirs, leurs rêves. Ils vivent ensemble, l'un à côté de l'autre, et comme le dit, la phrase de la 4ème de couverture ils "se perdent". Définitivement, serais-je tenté d'ajouter.
Avec une économie de moyens, des phrases courtes, sèches, des descriptions de gestes banals, Hanne Orstavik parvient à captiver son lecteur : "Elle détache sa ceinture de sécurité et la lâche, elle s'enroule. Elle trouve la poignée de la portière et tire le petit levier en plastique noir. La porte produit un clic en s'ouvrant, le froid se dresse contre son molet et sa cuisse. Elle ouvre la porte en grand et lance les jambes dehors, la voiture étant un peu plus haute elle doit se laisser tomber vers le sol. Elle se penche ensuite à l'intérieur pour ramasser son sac, qui était à ses pieds. Il regarde la route devant la voiture." (p.124). Même ses descriptions de lieux sont sèches, mais très facilement imaginables : "Il y a plusieurs portes dans le petit couloir là-haut. Elle en ouvre une, allume le plafonnier et laisse passer Jon devant elle. Elle doit partager sa chambre avec quelqu'un, se dit-il, parce qu'il y a deux lits. La fenêtre est juste en face de la porte. Elle donne sur l'arrière de la maison, sur la forêt. Il s'y rend. Elle est encadrée de rideaux à motifs. Il regarde dehors." (p.34/35)
Double narrateur, un coup Jon, un coup Vibeke, toujours à la troisième personne du singulier, sans prévenir, l'auteure alterne. A la faveur d'un nouveau paragraphe, on passe dans la nuit de Jon, puis dans le suivant, on revient à celle de Vibeke. Jamais perdu, le lecteur suit ainsi, parallèlement les pérégrinations et pensées de la mère et du fils.
Je m'aperçois que j'ai cité pas mal le texte, je pourrais en citer encore de plein passages, mais si je continue, je vais finir par reproduire le livre en entier. Donc, le mieux, si vous aimez les textes âpres, sans artifices, un peu à la manière d'Agota Kristof, de Annie Ernaux -si elle avait ne serait-ce qu'un centième de la virtuosité de ces auteures, j'aurais même pu mettre dans le lot Christine Angot qui a une écriture de ce genre, mais tellement plus maladroite, moins attirante et moins talentueuse- c'est que vous ouvriez ce roman de Hanne Orstavik, considérée comme "l'une des voix les plus importantes de la littérature norvégienne." (4ème de couverture)
Ce petit roman policier de 173 pages (ah merci M. Saint-Luc de nous éviter les pavés de 400 pages emplis de banalités et de considérations de peu d'intérêt. J'aime les livres courts, qu'on se le dise !) m'a été gentiment dédicacé à un "critique littéraire" -c'est trop d'honneur-, par l'auteur qui me dit que son livre "n'est qu'un premier polar, certainement perfectible". Perfectible, sûrement, mais déjà bien construit et l'équipe de Garon mérite un arrêt sur ses aventures.
Les personnages se mettent en place, puisque tome 2 -et peut-être plus- il y aura. D'ailleurs, pour en savoir plus il existe un site Commisaire Garon, très bien fait.
Saint-Luc nous balade à Lyon : "Lyon est cernée par deux collines, symbolisant deux mondes antagonistes : la Croix-Rousse, appelée la "colline qui travaille" sent la révolution, la sueur des petites gens, rappelle les combats des canuts, alors que Fourvière, la "colline qui prie" invite au recueillement, à l'abri dans sa verdure. Les maisons n'y sont pas luxueuses, mais sages et sans ostentation, les congrégations nombreuses." (p.79), puis nous emmène dans les pas d'Albéric Garon de Bouziq, puisque tel est son véritable patronyme, à Hong-Kong et Macao ; il nous y promène également dans les rues et ruelles. Comme je le disais précédemment, le roman est assez court, donc les personnages ne sont pas poussés, mais comme il existe une suite, j'imagine que nous en apprendrons plus sur eux au fur et à mesure de leurs enquêtes.
L'intrigue démarre assez vite et monte en puissance. Mais ici point de courses poursuites, point de fusillades ni d'hémoglobine dégoulinante. C'est un bon polar classique dans lequel l'auteur n'hésite pas à faire preuve d'humour et de critique envers le monde politique, le monde des affaires et les liens très étroits qui les unissent. Pour avoir fréquenté les cabinets ministériels, et donc le monde politique, Saint-Luc sait de quoi il retourne.
Plutôt bien écrit (même si le "s'est avérée fausse" de la page 140 me heurte un peu-beaucoup ; mais bon, parfois dans des bouquins plus grand public, on trouve bien pire !) ce polar permet de passer un très agréable moment. Pour tout dire, je le retrouverai bien volontiers, ce commissaire Garon avec ses camarades, épaissis, décrits plus en profondeur, dans une intrigue que j'espère au moins de la même bonne qualité.
Du Bohringer pur sucre ! En colère, contre le système, contre le monde actuel, contre la France actuelle, les Rollex, les yachts, le fric qui gouverne et les malversations des politiques de tous poils. John (R. Bohringer ? ), avec Paulo et Solange, préfère partir pour les nouveaux territoires : "Dans les nouveaux territoires, il n'y avait pas d'injuste différence. Alors que les anciens territoires avaient choisi l'ambition. L'argent ! La corruption, une indifférence à l'art, à l'humain modeste. Le parti en place avait récompensé ses serviteurs, ses courtisans, ses laquais. Aucune opposition gracieuse, forte et spirituelle, n'apparaissait. La jeunesse s'enfonçait dans un désespoir qui la rendait imperméable à toute espérance." (p.10)
On pourrait lui reprocher de la facilité, opposer la réalité à l'utopie, mais Richard Bohringer est fidèle à ce qu'il a toujours écrit : les copains, les amis, la fierté d'être plutôt que l'apparence et la fierté d'avoir, la fraternité et l'humanité. C'est un livre engagé, dans lequel l'auteur écrit son dégoût pour le monde dans lequel il vit et sa croyance en une autre vie possible : "Nous ne sauverons pas la démocratie. A voir le monde, le passé, le présent, rien ne brillait vraiment comme une étoile. Cultivons notre bout de terre. Cessons de creuser son ventre et de boire son lait noir. Cachons-nous dans les bois. Soyons de ceux qui retrouvent la sagesse et perdent l'envie du trop-plein" (p.122) C'est naïf probablement, utopique sûrement, mais j'adhère totalement. Comment d'ailleurs pourrait-il en être autrement ? Comment penser que nous pourrons continuer à vivre dans une société du "toujours plus" ? Comment penser que l'individualisme triomphera alors que la seule manière d'avancer, c'est la solidarité ? Comment continuer à croire que ceux qui réussissent socialement et/ou professionnellement puissent être récompensés au détriment des autres ?
C'est aussi un livre intime, dans lequel Richard Bohringer se livre : il revient sur son désir d'acteur : "Voilà bien longtemps qu'il [John] n'avait fait l'acteur. Cela lui manquait. Il gardait ce sentiment secret. Il en avait honte. Il avait provoqué trop de désamour entre lui et l'acteur. [...] John était un acteur très populaire. Il avait flingué sa carrière. Il avait pété les plombs. Paranoïaque tragique. Sans en être conscient. Absolu dans le bon comme dans le méchant. Il avait été rongé par la maladie dont il avait guéri. Trop tard. Sa mauvaise réputation était faite." (p.44/45) Beaucoup de lucidité et de pudeur sur son parcours d'acteur et d'écrivain et lorsqu'il évoque son âge et son entrée dans la vieillesse ; mais malgré l'âge John ne s'assagit pas, il reste révolté.
Ce n'est pas toujours facile d'entrer dans le monde littéraire de Richard Bohringer : beaucoup de métaphores, d'images ; son écriture évoque plus qu'elle ne décrit. Par contre, une fois entré, on ne quitte plus et même si parfois, quelques phrases m'ont échappé, j'ai toujours réussi à me retrouver dans ses nouveaux territoires quelques lignes plus loin. En écrivant cela, je me rappelle avoir fait exactement la même remarque après avoir lu Cher amour de Bernard Giraudeau. Cette comparaison ne devrait d'ailleurs pas déplaire à Richard Bohringer qui, dans ce livre pleure la mort de son ami l'un des "comédiens poètes magnifiques" (p.32)
Pour conclure : "John avait été très populaire dans les anciens territoires. Jamais le public ne l'avait abandonné. Surtout chez les gens simples. Les gens de pouvoir l'avaient brisé." (p.164) M'est avis que ce n'est pas cette fois-ci que les gens des anciens territoires abandonneront John Bohringer : trop sincère et trop vrai et trop révolté pour cela. Personnellement, j'irais bien boire un verre Au Bout du Monde et faire la Révolution avec Paulo, John, Auguste et tous les habitués du bar.
Pas son genre
roman - ReMev le 30/04/14 à l'occasion de la sortie du film de Lucas Belvaux
De Philippe Vilain
Grasset
Des thèmes qui ne m'intéressent pas et peuvent au contraire m'agacer : l'élitisme (un prof de philosophie peut-il aimer une simple coiffeuse ?), le parisianisme (un parisien de bonne société peut-il vivre ou survivre dans une ville de Province ?). Curieux -et obligé de lire- j'ai ouvert tout de même ce livre d'un auteur que je n'avais jamais lu. Le premier chapitre m'a effrayé : en presque dix pages -une ou deux auraient pu suffire-, Philippe Vilain circonvolutionne (quoi ? Le verbe circonvolutionner n'existe pas ? Ah bon ! Tant pis !), tourne autour de la question du choix.
Son narrateur ne peut s'y résoudre : son indécision chronique et maladive l'empêche de prendre une décision. Pourquoi tomber amoureux et aller vivre avec telle femme alors qu'une autre est tout aussi aimable, tentante et offre une vie différente ? Choisir c'est se priver. "En amour, il m'arrive de penser que je n'ai rien vécu, que j'ai peut-être manqué les choses essentielles, et que si j'ai connu des femmes, si j'ai déjà aimé, je ne me suis jamais résolu à m'engager, à me marier et à fonder une famille, par paresse sans doute, par volonté de ne pas bouleverser ma vie ou de préserver mon indépendance, que sais-je, par indécision aussi, parce que je sens que m'engager ne me satisferait pas plus que ne pas m'engager, et que rien ne me paraît plus absurde que de choisir entre une insatisfaction et une autre" (p.11) (C'est la première phrase du livre, qui donne le ton général du roman.)
Malgré mes remarques sur les thèmes et ce premier chapitre, il me faut bien admettre que ce roman à beaucoup de qualités.
D'abord, ce que je craignais n'est pas à l'intérieur. François, le narrateur est toujours respectueux des gens qu'il considère comme inférieurs à lui. Il ne profite pas d'eux cyniquement, il vit auprès d'eux sans vraiment faire partie de leur groupe. Il ne vit pas sa vie, il est partagé en deux comme si son corps agissait par réflexe et son esprit flottait au-dessus de lui, analysant, réfléchissant au bien-fondé de ses actes. Le parisianisme et l'élitisme sont bien sûr présents, mais François souffre plutôt de ne pouvoir s'en défaire.
Ensuite on sent que l'auteur aime bien ses personnages avec leurs forces et leurs faiblesses et qu'il les pousse dans leurs retranchements. Ils ne sont pas caricaturaux, Jennifer n'est probablement "que coiffeuse" pour la bonne société à laquelle François appartient, néanmoins, elle réfléchit, et si elle n'est pas prof de philo, elle est tout de même capable de faire toucher du doigt à François quelques vérités.
Enfin, il n'est qu'à lire la très belle écriture de Philippe Vilain pour vous convaincre de la qualité de ce roman. Des phrases souvent longues surtout dans la première partie, celle dans laquelle François se pose beaucoup de questions et n'ose pas s'engager. Plus loin, dans le roman, lorsqu'il sent son attachement possible à Jennifer, les phrases s'épurent, et des dialogues entre eux deux naissent ; elles rythment les actions de François : longues lorsqu'il théorise et allégées lorsqu'il bouge et agit. Mauvais esprit comme je le suis, je vous dirais qu' il y a bien ici et là quelques phrases excessivement longues et absconses, mais supposons que je les ai oubliées, eh bien alors, je me dois de vous dire que j'aime beaucoup cette écriture, et plus généralement, ce roman.
Roman foisonnant dans lequel on croise, outre tous les membres de la bande, deux Léo, Ferré et Malet, Brassens, Aragon, Arletty, Boris Vian,... Dans ce roman, sous titré Esquisse, P. Pécherot tente le portrait d'un jeune homme mal dans son époque, mal dans sa peau de pauvre de traîne-misère, qui ne rêve que d'anarchie, de copains, de copines, d'actions étincelantes, mais qui ne récolte que tuberculose, mauvais coups et coups perdants. André Soudy est un "perdant magnifique".
La construction de ce roman est étonnante : des parties racontant les faits, d'autres les interrogatoires de Soudy, d'autres sa jeunesse, toutes mises en parallèle. Il n'est pas toujours aisé de se retrouver entre elles et entre tous les protagonistes au moins au début. Une fois bien lancé dans la lecture, ça va mieux, même si la profusion des personnages peut perturber encore jusqu'à la fin.
L'écriture est plutôt rapide, des phrases courtes, des mots du peuple -P. Pécherot disait dans une interviouve que ce n'était pas de l'argot, mais plutôt des mots qu'il avait entendu dans sa jeunesse et qui pouvaient d'ailleurs être totalement anachroniques. Mais il y a aussi des passages plus classiques joliment écrits : "Prenez le tram à l'Opéra, passé la porte des Lilas, il vous mènera jusqu'à Romainville. Après les fortifications, vous longerez les carrières de gypse. Les cratères et le blanc crayeux comme une Voie lactée évoquent un décor de Méliès mais vous n'êtes pas sur la Lune, vous arrivez place Carnot. Descendez, à présent. Vous êtes rue de Bagnolet. Suivez-la. C'est une rue tranquille, avec ses maisonnettes et de petits immeubles. Le n°16 jouxte les établissements Renaud, meubles neufs et d'occasion. On y voit un pavillon à étages, d'assez belle allure. Poussez la grille, entrez dans le jardin. Il ressemble à ceux qu'on dit de curé mais vous n'y rencontrerez nul ecclésiastique. Quoique strictement végétariens, ceux qui vivent ici en font leur ordinaire." (p.41)
Le livre de Pécherot est donc un mélange, "un puzzle" disait son interviouveur. Très intéressant par la période qu'il raconte, par la bande qu'il décrit, leurs croyances et leurs méfaits : "- Ils ont retrouvé la bagnole. Tout de même, on avait encore jamais vu ça. Le hold-up en auto, c'est de l'inédit. Je sais même pas si en Amérique ils y ont pensé. Pourtant, ils en ont des gangsters en Amérique. Et des autos aussi. Eh bien, le premier hold-up à moteur, il a eu lieu chez nous. A Paris. Rue Ordener. C'est historique..." (p.82)
Cependant, je suis partagé et franchement j'ai du mal à dire vraiment ce que je pense de ce livre : j'ai bien aimé, notamment l'écriture de P. Pécherot, mais me reste une réticence que je ne réussis pas à bien définir. Peut-être la construction volontairement labyrinthique (Cathe dixit !). L'autre hypothèse serait que l'auteur nous amène à éprouver une certaine sympathie pour ces hommes, ces anarchistes que rien n'arrêtait. Mais malgré tout, ils furent quand même des malfrats aux mains pleines de sang - sauf Soudy qui bien qu'on l'appelât L'homme à la carabine, n'a jamais tiré sur personne. Le malaise ou ma part d'incompréhension ou ma réticence, appelez-ça comme vous voulez, vient sans doute de cette situation.