L'annulaire

Yōko Ogawa

Actes Sud

  • Conseillé par
    31 octobre 2016

    ''Recherchons employée de bureau aide à la fabrication de spécimens expérience, âge indifférent, sonnez ici.''
    Une jeune fille fraîchement débarquée de sa campagne tombe par hasard sur cette petite annonce collée sur un pilier devant un immeuble vétuste. Elle arrive en ville après un incident dans l'usine où elle travaillait. Un petit bout de son annulaire est tombée dans une cuve de limonade, perdu à tout jamais. Quand elle sonne, c'est M. Deshimaru qui ouvre la porte. Vêtu d'une blouse blanche, franc et poli, l'homme lui explique le fonctionnement de son laboratoire. Il s'agit de préparer et de conserver des ''spécimens''. La jeune fille n'y comprend pas grand chose mais elle devient l'assistante de M. Deshimura et se familiarise avec l'endroit et le travail. Le laboratoire est un ancien pensionnat de jeunes filles, désormais voué à la conservation des souvenirs douloureux que les clients viennent déposer. Consciencieusement, M. Deshimura naturalise des champignons microscopiques, une mélodie, une cicatrice... Si tout cela reste un mystère pour son assistante, elle s'intéresse aux clients et à son patron avec qui elle entretient une relation charnelle dans la salle de bain désaffectée de l'établissement.

    Un roman énigmatique, suffocant, teinté d'érotisme dans la veine des autres romans de Yōko Ogawa. On y retrouve cette atmosphère étrange, éthérée, parfois malsaine, ses personnages froids en apparence, aux sentiments troubles, ses lieux bizarres qui sont sa marque. Ici, le malaise s'installe d'emblée à cause sans doute de ces ''spécimens'' qu'on a du mal à appréhender et de la personnalité de Monsieur Deshimaru qu'on soupçonne du pire dès les premières pages, trop poli pour être honnête. Très vite, il domine son assistante, pervers manipulateur, sans jamais abandonner ses bonnes manières, et sans qu'elle ne réagisse. Complètement à sa merci, elle a conscience du danger mais ne cherche pas à se révolter. Par faiblesse, imprudence, apathie, désespoir ? Là où les clients se délestent du poids qui les écrase, mauvais souvenirs enfermés pour toujours dans les tubes à essai de Deshimaru, la jeune fille semble incapable d'un sursaut salvateur, paralysée par le malheur des autres, soumise à une atmosphère et à un homme, malgré une lucidité exacerbée... Un roman tout simplement fascinant.