Jack Twiller

Je suis tombé un jour sur un texte écrit par un obscur poète contemporain, je n'ai jamais trouvé mieux pour décrire mon rapport aux livres :

"Le jour où ma sœur m’a dit qu’elle ne lisait jamais, eh bien je lui ai dit non pas qu’elle manquait l’occasion de se constituer une culture, mais je lui ai dit qu’elle se vautrait littéralement, qu’elle se vautrait dans la vie sociale et dans le salariat et qu’elle se détournait de sa vie à soi, personnelle, solitaire, que représente bien, quoi qu’on en dise, l’acte de lire."

Barême :

***** : chef d'oeuvre (biblio idéale)
**** : grand livre
*** : bon livre
** : livre correct
* : sans intérêt
° : mauvais

Paul Nizon, Georges-Arthur Goldschmitt

Actes Sud

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23 juillet 2010

Stolz ne voulait pas devenir étudiant. Il est parti en Italie, voir le monde, les femmes. Un mois plus tard il était rentré.

Il prend une chambre pas loin du tramway, il écoute le fracas, il gémit avec eux, il attend on ne sait trop quoi, il étudie. L'histoire de l'art, ça lui est venu en lisant un livre sur les cathédrales, des édifices qui sortent de terre, se dressent au dessus des hommes qui leur ont dédié leur art, ensevelis décennie après décennie. Ca ne prend pas. Stolz travaille de nuit à la gare, la journée il dort dans l'amphi. Il suit des femmes dans la rue le soir, il les aborde, les séduit et les entraîne dans sa mansarde, n'ayant le jour venu qu'une hâte, les voir disparaître. Il rencontre sa future femme, ils batifolent le long d'une rivière, ils s'installent. Mais Stolz en a finit avec les cathédrales, se dresser contre la vie, marquer sa présence, ne l'intéresse pas. Il tombe en arrêt devant une toile de Van Gogh, c'est désormais l'affaissement qui l'attire, les paysans courbés dans leur labeur, les femmes aux vêtements informes campées dans la terre nourricière, comme si le monde attendait impatiemment d'y retourner, il guette la disparition, la soumission au temps. Stolz entreprend une thèse sur le peintre, il se retranche dans sa solitude, dans une ferme isolée, prétexte pour abandonner les prémices de ce qu'il a sottement construit, une famille, des responsabilités, une envie, d'écrire, d'être. Il se laisse gagner par l'indolence, il lit par fragment les lettres de Van Gogh : il tente alors dans un dernier effort de se fondre en lui. En vain.

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13 juillet 2010

Mitchum, à cause de l’acteur. Il apparaît à plusieurs reprises, une fois sous les traits du pasteurs aux mains tatouées, peu après en tortionnaire impassible. Il prête ses traits polymorphes à un écho cauchemardesque qui traverse les âges, se métamorphosant en vieillard puis rajeunissant, toujours malfaisant, toujours neutre.

Il est suivi par un James Stewart croulant, fantôme pathétique, reflux libidineux vomi par une autre époque, profitant de l’inertie de la gloire pour s’échouer définitivement. Plus loin on croise Steeve McQueen et Charlton Helston, momifiés dans leurs sarcophages ouverts, sagement alignés au bord d’une rivière. Mitchum est un vestige happé par un médium qui n’est pas le sien, ambassadeur maléfique d’un art essoufflé, il devient une figure malléable, présentant tour à tour différentes facettes façonnées par la superposition de rôles qui ont forgé l’icône. Tout l’enjeu est de saisir le reflet d’une idole, le capter dans un prisme nouveau, la bd, pour le confronter à ses propres créations, le distordre et l’incruster dans son propre mythe. Mitchum est alors un modèle parmi d’autre, le modèle de Blutch, qui pose aux côtés des modèles de ses propres personnages, eux même écho de sa vocation artistique. Le motif au centre de Mitchum est l’opposition récurrente entre l’artiste et son modèle, objets de fascination, fantasmes amoureux ou victimes récalcitrantes laissées exsangues par le pinceau. L’histoire la plus classique en terme de narration met en scène une poignée de jeunes parisiens qui se quittent, se trompent, s’envient, posent et dessinent. Sur la toile de fond de ces amitiés tournant aux aventures et des heurts domestiques encore feutrés par l’incertitude des sentiments, Blutch convoque le sceptre de Matisse face à son propre avatar, qui peine à se hisser vers le maître, pour parler de la hantise de l’échec, de la recherche de soi dans l’art, du doute. Réglé rageusement, par le personnage d’abord, puis par Blutch qui s’est finalement émancipé de la figure douloureuse de l’artiste en herbe. Mitchum essaime des figures incarnant l’ordre, ou du moins une forme de stabilité morale ou sociale, bonne ou mauvaise peu importe, on croise des flics suspicieux, des inspecteurs louchent, des silhouettes martiales lors d’un passage au Mexique ou une chasseuse de prime revancharde. Cet ordre brouillé est mis à mal par l’imaginaire foisonnant de Blutch, l’auteur installe ce cadre conventionnel où chaque genre scande son propre rythme, du western au policier bien noir, cadre propice à la création car d’un réalisme inhérent au genre, mais toujours à la lisière de l’imaginaire par l’effacement des frontières morales qu’il permet et qui engendre l’angoisse, terreau idéal pour s’échapper du réel par la porte du devant, la plus évidente, le rêve, ici le cauchemar. Blutch peut alors tout à son aise injecter une dose d’entropie dans ce monde bien réglé tiré de la naphtaline. Il ne doute plus, il crée librement à grand coup d’effroi, de visions affolées ou faussement paisibles. Il alterne les outils, le style tantôt ample et délié, plus loin sec avec la rugueuse précision d’une gravure, participe activement à la narration en évoluant dans une même histoire, le plus bluffant étant de voire cohabiter différents styles sur une même planche, superposant les trames, mêlant deux récits. Le tout est d’une cohérence étourdissante, les histoires se suivent, s’imbriquent et se répondent à rebours, traçant un canevas impossible à résumer et qui pourtant crée une unité parfaite.

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7 juillet 2010

Le personnage du plouc tout juste sorti de ses marais, ignare et légèrement attardé, avec ce quelque chose d’indéboulonnable que confère la démarche arquée du cow-boy qui ne se détache de la terre que pour sauter sur son cheval, est une figure récurrente du roman noir américain.

Jim Thompson lui consacre pas moins de trois livres, à chaque fois sous les traits d’un shérif minable qui trompe son monde derrière un air rustaud de façade pour mieux s’affranchir de la loi qu’il est supposé incarner. Chez Charles Williams, le plouc, cul terreux avec un alambic planqué dans sa propriété et un sourire goguenard aux lèvres en accueillant les autorités, est lui aussi remarquablement brillant.

Elmore Leonard conserve ce côté crapuleux et son paravent de brutalité et de bêtise, sauf que lui ne cache rien derrière. Le plouc ne fait pas que jouer à l’abruti, il en est un jusqu’au bout des ongles. Roland est un homme de main de la mafia, une sorte d’électron libre qui n’a pas prêté de serment d’allégeance. Un jour il en a eu marre de promener les touristes, il a plaqué les crocodiles et le reste pour se faire gangster, aidé dans son nouveau plan de carrière par son absence totale de scrupules et son impressionnante carrure.

C’est bien sûr un personnage secondaire, Leonard n’est pas fou au point de remettre les clefs du récit à un type qui planque ses muscles sous un costume bleu à paillettes (bon il n’y a peut être pas de paillettes mais c’est tout comme), son crâne épais de néandertalien bien à l’abri sous le galurin de pèquenot ramené sur le font à l’aide d’un unique pouce pour saluer ces dames. Roland est en représentation, il est Le plouc, sauf qu’il est le seul à ne pas s’en rendre compte, personne n’ayant le courage de discuter du sens des convenances et du bon goût vestimentaire avec lui.

Lorsqu’on le contrarie soit on apprend à voler, soit on s’écrase sur le bitume dix étages plus bas. Bon d’accord, il y avait une piscine, mais Leonard ne précise évidemment pas si Roland était au courant. Rien d’étonnant donc à ce qu’il vole la vedette aux personnages principaux. Un parrain passe l’arme gauche laissant à sa veuve quelques millions de dollars qu’elle ne pourra toucher qu’à la condition de ne jamais plus coucher avec un homme. Il n’est pas précisé si elle peut se consoler avec une femme, ça ferait désordre dans le milieu puritain de la mafia où le mari peut tromper sans vergogne sa femme, et le parrain ne s’en ait pas privé, alors que l’épouse est tenue à une respectabilité qui n’est pas seulement de façade.

Si le plouc est lui juste une façade, derrière c’est du vent, la veuve elle c’est l’inverse, un être entier et nu qui ne peut rien dissimuler. Il est beaucoup question de façades, de jeux, de verni et d’apparences dans Gold Coast. Le deuxième personnage principal, Cal Maguire, appelons le « le héros », ce qu’il n’est pas précisément, s’est illustré en cambriolant un club, enfin ses vestiaires : les joueurs de golf du dimanche, hommes et femmes, sont envoyés nus tous ensemble sous la douche pendant que les malfrats les délestent de leurs portefeuilles. Une idée amusante du mafieux susmentionné, vexé de ne pas avoir été admis dans le club. L’ennui est qu’il n’a pas eu le temps de payer Cal avant de mourir, notre héros (après un séjour en prison, écourté du fait d’un vice de procédure) part donc en Floride lui réclamer son dû. Il tombe sur la veuve, laquelle ne fait pas de difficulté pour raquer, et encore moins pour passer ensuite au lit, bravant l’interdit marital posé par un mec qui se dessèche dans sa tombe depuis un bon moment. Manque de bol, le type chargé de s’assurer que l’interdit demeurera est justement ce sacré Roland, lequel lorgne autant sur la veuve que sur ses millions et se moque comme d’une guigne de la mafia.

Gold Coast c’est donc l’histoire de deux malfrats qui désirent la même femme, scénario que l’on pourrait croire épuisé depuis longtemps, mais c’est sans compter l’idée particulière que Leonard se fait du milieu. Le crime même est de l’amateurisme, il faut voir avec quelle désinvolture ces truands salopent le boulot, du premier minables venu jusqu’au ponte de la mafia, tous semblent mettre un point d’honneur à ne pas encombrer le patrimoine génétique de l’espèce avec leurs gènes délictueux. Il faut croire que la nature humaine se fait violence pour se vouer au crime : s’y engager entraîne immanquablement l’ablation de toute faculté de discernement, de toute prospection logique, et surtout de toute rigueur d’exécution. Chez Leonard, le malfrat de base n’a aucune conscience professionnelle, dès lors, inévitablement les plans foireux ne donnent pas les résultats escomptés. Pour prendre la mesure exacte de cette aberration que constitue la carrière criminelle, il suffit de se pencher sur les rares personnages qui ont emprunté une autre voie : les dresseurs de dauphins font des heures sup pour bavarder avec leur partenaire aquatique, et lorsque la veuve veut fuir les petits tracas criminels, où se réfugie t’elle, chez sa fille, à Hollywood. Ironiquement, le seul personnage du livre qui semble avoir des préoccupations normales est une actrice de seconde zone qui vit sur un plateau sous la férule d’un réalisateur incompétent et dont les seuls problèmes sont un mari cascadeur plâtré et un texte mal traduit à apprendre. Si c’est à l’acteur d’incarner la normalité, (travail sérieux, foyer, tout ça…), on comprend que les malfrats et assimilés, qui eux n’ont pas l’exutoire du jeu, se comportent de manière à peu près irrationnelle. Leonard n’a plus qu’à corser son récit d’une bonne dose d’imprévisibilité et de méchanceté pour dynamiter le tout.

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5 juillet 2010

Terry Dunn venu au Rwanda pour repeindre la maison de son oncle, et accessoirement mettre un peu de distance entre son passé de petit trafiquant et la justice des Etats-Unis, va enfiler la robe de prêtre de son parent à sa mort.

Son nouveau job ne lui pèse pas trop, il lui suffit d’absoudre les péchés des voleurs de chèvres et de célébrer l’office de Pâques. Le reste du temps il écluse du Johnnie Walker en se remémorant les atrocités auxquelles il a du assister jusque dans son église, impuissant. Alors autant dire que quand il se décide à rentrer aux Etats-Unis, il nage dans une certaine insensibilité face à la violence de la société occidentale - pourquoi s’en faire pour si peu - et Leonard lui donne raison en l’envoyant se frotter à la mafia de Detroit et à ses satellites, arrivistes minables ou vieux croulants qu’il entreprend d’escroquer gentiment. Tout le monde truande tout le monde, une constance chez Leonard, les alliances, consolidées au lit en général, se délitent rapidement face à un gros tas de billet. L’amour est une arnaque comme une autre : si par hasard l’un en sort vainqueur, il n’en a plus pour longtemps avant de tomber, enfoncé dans sa médiocrité. Et si la plupart du temps la coolitude des personnages désamorce les explosions de violence, la bêtise des uns, plus encore que leur convoitise, vient bousiller les efforts des autres pour instaurer une sorte de stabilité tactique, qui permette au moins de discerner les camps opposés avant que tout ça vire au bordel sous la plume désabusée de l’auteur.

Elmore Leonard

Rivages

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5 juillet 2010

Chris Mankowski décide de quitter la brigade de déminage pour celle des crimes sexuels afin de tranquilliser sa copine. Résultat celle-ci le plaque, le psychiatre lui balance qu’il est probablement un homo refoulé parce qu’il a peur des araignées, son père sexagénaire chez lequel il squatte s’interroge sur l’incapacité de son fils à mener une vie sentimentale normale, et enfin il n’a aucun mal à se faire passer pour un ripoux auprès de freaks psychotiques rescapés des années 70...

...., d’abord parce qu’il conduit la Cadillac de son père, mais surtout parce qu’une fois mis à pied, il entreprend l’exploration d’une zone floue - jusqu’à quel point le fait de repêcher des batons de dynamites dans la piscine d’un millionnaire abruti par l’alcool, et le reste, pour se les mettre de côté, s’apparente t’il a à de la rétention de preuve ? – zone qu’il arpente débarrassé de son insigne, mais armé d’un flingue qu’il n’hésite pas à vider. Son personnage part donc d’assez bas, comme toujours chez Leonard : ils n’ont pas grand-chose à perde, mais même ce pas grand-chose il font tout pour le perdre. Rien ne semble pouvoir empêcher un raté en devenir d’accomplir son cheminement vers la médiocrité, jusqu’au moment où Leonard, grand optimiste qui s’ignore, arrête le manège fou de son récit au péage : on ne fait pas demi tour, on paye et on repart, en ligne droite si possible.