La Sérénade d'Ibrahim Santos

Yamen Manaï

Elyzad

  • Conseillé par
    12 janvier 2012

    Une réussite!!

    Voilà ce qu'on appelle un roman réussi! Ce fut un très beau coup de cœur qui m'a fait terminer l'année en beauté! !

    Santa Clara est un village où l'on vit heureux, jusqu'au jour où le Président Benitez goûte son fameux rhum et découvre l'existence de ce village. La tranquilité des habitants est alors mise à rude épreuve, car pendant 20 ans ils ont vécu en autarcie et ils ne sont nullement au courant de la révolution sanguinaire qui a mis à la tête du pays le Général Benitez.

    Toutes leur habitude sont alors bousculées avant l'arrivée du Premier Ministre Benitez (le frère du Président!) : on change l'hymne, le drapeau, la devise le nom des rues...

    Cette partie du roman est vraiment très drôle quoique teintée d'une ironie lourde de sens.

    Qu'est-ce qu'on ne ferait pas pour éviter à Santa Clara un massacre, et au Président une colère!

    Le gouvernement décide alors d'envoyer un ingénieur agronome afin de booster la production de canne à sucre, et ainsi produire plus de ce rhum si délicieux. Joaquin Calderon arrive donc à Santas Clara... Je ne vous en dirai pas plus car c'est un roman qu'il vous faut absolument découvrir.

    Yamen Manai a su, à travers un récit écrit à la manière d'un conte d'Amérique du Sud, faire une critique à la douce et acerbe (si, si, c'est possible!!) des gouvernements totalitaires et des révolutions ( qui prend ici tout son sens propre ).

    Tout m'a plus dans ce roman, et ce qui ne gâche rien, le livre est magnifique : papier épais, beige, couverture est épaisse et cette photo...! Juste sublime!


  • Conseillé par
    14 novembre 2011

    Santa Clara est une petite ville paisible où il fait bon vivre. Le rhum y est divin, les producteurs heureux et l'orchestre emmené par Ibrahim Santos joyeux. Un jour, le Président (ici, on peut lire aussi le Dictateur) goûte ce fameux rhum unique et cherche à savoir d'où il vient. Personne , aucun gouvernant, malgré quelques recherches, ne connait Santa Clara, enclave totalement inconnue dans ce pays opprimé par les militaires. Dès lors, le pouvoir n'a de cesse de trouver cette oasis d'innocence et de joie de vivre et d'y faire appliquer des méthodes autoritaires pour rentabiliser le rhum.

    La première partie est assez drôle, enlevée : l'opposition entre les habitants de Santa Clara qui vivent dans une sorte de félicité primesautière et les militaires au pouvoir qui viennent les voir emplit son rôle. Ces militaires sont ridiculisés, notamment le passage dans lequel le Premier Ministre (le frère du Président) a du mal à faire son discours, embêté qu'il est par "une mouche à la cuirasse verte et luisante [qui] n'arrêtait pas de se poser sur le bord épais de ses narines. [...] Il levait le bras en direction de la foule et faisait envers elle de grands gestes elliptiques, comme s'il la couvrait tout entière par la seule paume de sa main. Puis cette même paume venait tapoter avec noblesse sa poitrine décorée. Son autre main bougeait d'une façon nettement moins aristocratique, puisque l'amour que portait la mouche verte à ses narines était à son apogée." (p.55/59)

    Jusqu'à l'arrivée de l'émissaire, l'ingénieur agronome chargé de rentabiliser la rhumerie, tout va très bien dans le meilleur des mondes : les agriculteurs cultivent leur canne à sucre pour le plus grand bonheur des buveurs de rhum ; la farce et la fable sont encore joyeuses. Puis, suite à cette arrivée, le livre se fait plus dur, plus sombre. La fable devient critique de la société de consommation, de la soif de progrès et d'avancées technologiques au mépris des besoins réels, du bien-être des populations et du mal que l'on fait à la terre mais aussi aux hommes, donc à nous-mêmes :

    "- C'est après la terre qu'ils en ont, après la terre et ce qui sort de la terre, dit le vieux Ruiz depuis sa chaise en teck. Ces hommes ont trop de pouvoir pour se contenter d'apprécier une bonne bouteille et décamper. [...]

    - Tu crois qu'ils veulent réquisitionner nos terres ? se lança Alfonso Bolivar

    - Nos terres ne sont plus les nôtres depuis que ces hommes les ont foulées, répondit le vieux Ruiz." (p.132)

    Yamen Manai oppose les traditions qui permettent de vivre, chichement certes, mais heureux au progrès et à la course au profit. C'est sans doute banal comme opposition, caricatural sûrement, et un peu facile sans aucun doute, mais il le fait dans une écriture, souvent drôle avec de jolies trouvailles, je l'ai déjà dit, parfois plus noire et toujours très poétique et très liée aux contes. Les personnages ne sont pas en reste : Lia Carmen la belle liseuse d'avenir dans le marc de café, le vieux Ruiz, une sorte d'Agecanonix américain du sud plutôt que breton, Alfonso Bolivar le barbier qui se mèle de tout, Joaquin le jeune ingénieur par qui le malheur arrive est plus complexe que le simple "méchant" de service et Ibrahim Santos, le joueur de viole, qui à la fin de ses sérénades donne la météo à venir –sans jamais aucune erreur- et donc permet aux agriculteurs de s'adapter aux conditions, cette ville totalement coupée du monde réel qui vit sans contrainte : une sorte d’Eldorado pour les conditions de vie.

    Vers la fin, entre deux chapitres apparaissent des apartés : une phrase empruntée à Nietzsche, un passage du Coran ou encore, une nouvelle de 4 pages, un cauchemar de l’écrivain, a priori sans rapport avec le livre puisque très actuel dans l’écriture, mais qui n’est finalement que l’aboutissement de son raisonnement et ce qui risque bien de nous arriver si ce n’est pas déjà le cas.

    Si vous ne connaissez pas encore les éditions Elyzad, c'est le moment de vous y mettre et ensuite -ou avant ou pendant, je ne voudrais forcer personne- d'aller voir leur très beau et très bon catalogue ; si vous les connaissez, vous savez que vous pouvez y aller sans risque.

    Yamen Manai écrit là son deuxième roman, pas toujours l'exercice le plus facile, mais il passe brillamment le test.