Maudite éducation

Gary Victor

Philippe Rey

  • Conseillé par
    6 septembre 2012

    Ce roman est initiatique à plus d’un titre. A travers le personnage de travers Carl Vausier, adolescent à Port-au-Prince dans la fin des années 1970, l'auteur aborde de nombreux thèmes. Carl compte assouvir sa soif de quête sexuelle. Il s'agit d'un adolescent comme tant d’autres animé par le désir d’explorer ce territoire inconnu qu’est le sexe. Alors qu'il s'adonne à des plaisirs solitaires dans la bibliothèque de son père, seul lieu de la maison offrant une intimité, son père le surprend. La honte d'avoir désobéi à ce père qu'il respecte et qu'il craint ne le quittera plus.

    Carl poursuit son apprentissage dans les quartiers malfamés de la ville et s'offre le plaisir monnayé dans les bras des prostituées. Ces dernières lui racontent des histoires où les personnages semblent être à la croisée des chemins du réel et du conte. Doté d’une belle plume et d’un imaginaire foisonnant, ses parents l’encouragent dans la voie de l’écriture. C’est d’ailleurs par le bais d’échanges épistolaires où chacun doit garder l’anonymat que les sentiments vont voir le jour. Alors qu'il ne connait que l'amour purement charnel et instinctif, il tombe amoureux de la jeune fille qui signe Cœur Qui saigne avant même de l’avoir vue. Le jeune homme timide et mal à l'aise dans sa peau brodera un autre Carl plus beau et plus confiant. Ayant peur que sa supercherie éclate au grand jour, leur premier rendez-vous sera un désastre. Il préfère oublier la jeune fille mais c’est sans compter sur le destin.

    Quelques années plus tard alors qu'il est devenu journaliste, il la retrouve prisonnière d'une promesse qu'elle a faite à sa sœur défunte. Un serment qui tient lieu de sacrifice de sa vie. Carl va tout mettre en œuvre pour la dissuader mais sans succès. Leur amour grandit. Un amour impossible et surveillé par les sbires de Duvalier car l'homme à qui s'est fiancée la jeune fille est devenu l'un des leurs. Dans un pays exsangue, terrorisé et où tout manque, son père décède à son arrivée aux urgences d’un hôpital situé à 333 mètres du bureau du dictateur. Cette distance deviendra une obsession, une source de colère intarissable pour Carl.
    L'apprentissage de l'amour tient une place importante dans ce livre au récit non chronologique. Mais je dois dire qu'il m'ait souvent apparu souvent ennuyant. Les conditions du pays sous Duvalier sont empreints de révolte. La jeune fille qu'il aime sera une victime de la barbarie et son père trouvera la mort faute de personnel soignant et de moyens. L'écriture permet à Carl d'effectuer un travail sur ses sentiments et ses réflexions. Il tente de mettre noir sur blanc sa relation avec son père comme pour s'affranchir d'une honte qui lui colle à la peau.
    La figure maternelle est quasi absente et j'ai trouvé dommage que l'auteur ne lui accorde pas une place plus importante. La pudeur, la fierté et la crainte envers le père de Carl sont décrits avec une beauté drapée dans les mots.

    Mais voilà, j’ai trouvé que l’écriture travaillée où rien n’est laissé au hasard l’emportait souvent sur l’émotion. Et il m’a manquée la musique qui d’habitude accompagne cette écriture et ce phrasé. Malgré de nombreuses qualités, je n’ai pas réussi à m’immerger entièrement dans ce texte. Dommage.


  • Conseillé par
    25 août 2012

    Gary Victor au meilleur de sa forme

    Roman très atypique dans la forme. Il y a cet homme qui raconte son adolescence, sa jeunesse, et puis cette relation difficile avec Coeur Qui Saigne et plus généralement, la vie en Haïti dans les années 70, la difficulté de vivre dans ce pays extrêmement pauvre, sous une dictature féroce. Carl Vausier n'a pas de chance, d'abord il n'est pas bien dans sa peau d'ado, ensuite il agit en dépit du bon sens parental au risque de se mettre à dos père et mère, et enfin, il ne peut pas dire ou faire ce qu'il veut au risque de se retrouver emprisonné voire pire par les tontons macoutes.

    On est toujours entre roman autobiographique (d'après l'éditeur), roman initiatique, roman d'un amour fou et livre de réflexions de l'auteur, mais aussi entre rêve et réalité, deux notions que Gary Victor aborde très souvent :

    "Je persiste à croire que ce qui est du rêve se confond avec le passé. Le présent lui-même n'est qu'un espace incertain à peine palpable, déjà évaporé alors qu'on n'a même pas profité de ce qu'il offre. L'homme n'a que ses souvenirs et le rêve est le cadre qui amplifie les perspectives, donne plus de luminosité à la mémoire. Le rêve surtout n'appartient qu'au rêveur. Tandis que nous ne sommes pas les propriétaires de nos souvenirs, car ils ont été souvent construits avec d'autres que nous, par d'autres que nous, qui peuvent avoir sur nos réminiscences des opinions et des sentiments différents." (p.128) J'aime beaucoup cette idée dont il parle que nos rêves sont personnels mais pas nos souvenirs, parfois même les deux peuvent parvenir à se confondre. Ne vous êtes-vous jamais posé la question de savoir si ce que vous pensiez être un souvenir n'est pas un rêve récurrent, qui serait entré en vous comme un événement vécu ? Une autre citation sur un thème similaire : "Flotter entre le réel et l'imaginaire met dans un état de doute permanent et de questionnement." (p.232) L'écriture de Gary Victor incite à passer du réel à l'imaginaire, du rêve à la réalité. Elle est simple, directe, belle et à la fois poétique. Je l'avais déjà remarquée dans son superbe roman Le sang et la mer (à l'époque j'encourageais très volontairement à le lire, conseil -que vous devez suivre, vous ai-je déjà déçu ?- que je ne peux que réitérer)

    Mais Gary Victor ne se contente pas d'égrener ses réflexions sur ces thèmes, il parle aussi de son pays. Son pays vendu aux dictateurs, à ses brutes qui représentent la face sombre des hommes (un peu comme le portrait de Dorian Gray cachait celle de son modèle) : "Le Président Éternel, qu'on dit être aussi méchant, aussi inhumain -rappelle-toi qu'il a fait fusiller sans sourciller dix-neuf officiers-, n'est que le miroir qui reflète la bêtise, la violence, le mépris de la personne humaine qu'on cultive tant dans notre société. Il est la quintessence de ce que, malheureusement, nous sommes, notre être véritable, notre pur produit." (p.67)

    Il est difficile d'y vivre sereinement, soit à cause de la pauvreté, soit à cause des ses opinions soit les deux en même temps. Carl est écrivain, journaliste et ne peut écrire n'importe quoi, il doit sans cesse composer avec son rédacteur en chef -le censeur- et le pouvoir. Malgré tout, il y reste, contrairement à beaucoup qui émigrent pour vivre mieux.

    Et puis Gary Victor parle aussi d'amour. D'amour fou. D'amour passionnel, fusionel. D'amour physique aussi, certains passages sans être grossiers sont très explicites. De la difficulté de trouver le ou la partenaire fantasmé(e)(s).

    Enfin, tout cela pour vous dire combien ce bouquin est excellent, beaucoup de phrases ont fait écho en moi, m'ont rappelé certains passages pas très faciles de mon adolescence (rassure-toi, maman, je ne suis pas allé dans les bas-quartiers nantais pour voir les prostituées, ni n'ai vécu dans un bidonville !). Comme quoi, même si les conditions de vie sont absolument incomparables, les tourments du corps et de l'esprit sont universels.

    Précipitez-vous sur ce roman de le rentrée 2012 !


  • Conseillé par (Libraire)
    15 août 2012

    Souvenirs de jeunesse

    L'auteur a choisi d'évoquer la jeunesse haïtienne du jeune Carl Vausier et de la folie des sens qui le heurte à un père qui fixe les règles ...
    Lors de sa découverte du monde et des rapports humains, l'auteur réveille les souvenirs intimes des femmes et leurs parfums vont très largement émailler ce récit sans contrarier la brutalité du fond.
    Entre proximité et éloignement, il n'aura de cesse de pointer du doigt les frustrations et menaces du fossé qui sépare les parents des enfants.
    Le style du roman est fluide et vous plongera dans la fosse avec relief et vous remuera en tous sens !