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    5 juin 2015

    Famille je vous aime.

    Il est nécessaire de présenter succinctement le trajet de ce livre. J’emploie le mot trajet à dessein, le manuscrit ici édité par Hervé Jaouen ayant en effet parcouru de nombreux kilomètres avant d’être mis à la disposition du lecteur. Et de très nombreuses années se sont également écoulées avant que ce texte, sorte de miraculé, voit enfin le jour.
    La famille Turgot «Les Émigrés de l’île aux chiens» (de Saint-Pierre-et-Miquelon à Saint-Pierre-Quilbignon) comme les nomme Hervé Jaouen dans la présentation de ce livre ont connu un destin peu ordinaire. L’émigration inverse à la norme, de l‘Amérique du Canada plus précisément à la Bretagne.
    Léopold Turgot, le narrateur, est la figure de proue de ce récit. Travaillant au câble qui relie l'Amérique à la France, il est licencié en 1932 par la Western Union qui avait racheté les droits d'exploitation. Il décide alors de partir pour la Bretagne à Saint-Malo plus précisément. Mais hélas la guerre pointe son nez et entre-temps la famille a déménagé sur Brest.
    Le récit proprement dit commence par un court message datant du vingt-quatre novembre 1940 destiné à « Bien chers tous » qui décrit l'isolement dans lequel se trouve la famille du fait de la guerre et de l'occupation.
    La seconde missive date du premier janvier 1941. Lettre beaucoup plus longue, elle présente les vœux de bonne année et explique la vie de plus en plus précaire à Brest sous les bombardements. Elle donne aussi des nouvelles plutôt dramatiques de la famille, les décès, en particulier celui de la grand-mère Lescoublet. Il y a aussi des nouvelles d'un jeune homme qui pour l'instant est dans la marine française et est sorti vivant de Mers el-Kébir. Malgré les privations, la vie continue...
    Les nuits dans les caves, les bombardements, le tout venant de tout un chacun, les transports de plus en plus difficiles, la bicyclette pour rejoindre la famille, pour transporter le bois pour le chauffage, le carton pour remplacer les vitres brisées, peut-on encore parler de vie ?
    Malgré tout, quelques bons moments viennent deci-delà parsemer l'existence, la fabrication des confitures de mûres, l'art et la manière de recycler, faire le cordonnier par exemple pour rafistoler de vieilles chaussures, des situations amusantes qui auraient pu être dramatiques, comme ce bébé dans son berceau accroché aux débris du plafond. Il dormait, il ne s'est rendu compte de rien. De longs séjours à la bibliothèque, toujours ces problèmes d'approvisionnement. Une machine à écrire familiale passe de main en main.
    Le journal reprend après une petite interruption le quinze août 1941 par un voyage à Landivisiau où la famille a l'intention de passer l'hiver.
    Reprise de la correspondance le vingt-neuf octobre 1944 qui commence par ces mots : après l'avoir sorti de sa cachette, je reprends mon journal si longtemps délaissé.
    Toujours l'errance familiale et une proposition d'emploi au Huelgoat pour travailler sur des métiers à tisser.
    Encore la routine, le retour de Léo, qui arrive de Toulon pour huit jours de permission. Et toujours l'occupation, rafles et réquisitions.
    Mai 1944. Enfin le vent a tourné, mais la paix et la sérénité ne sont pas de retour pour autant. Dans le ciel, des premiers parachutistes alliés, toujours les tensions et le couvre-feu mais la délivrance approche…
    Les personnages de ce livre sont bien évidemment la maisonnée de Léopold Turgot, ainsi que quelques voisins proches, mais surtout les membres de la « tribu ». On trouvera un arbre généalogique en fin d'ouvrage.
    On retrouve entre ces lignes la solidarité encore plus présente en ces temps troublés des années d’occupation.
    Hervé Jaouen avait en 1986 puisé dans les mémoires familiales pour son excellent roman « L’adieu aux îles ». Ici il nous parle de cette famille durant les années de guerre entre Saint Malo, Brest et le Huelgoat.
    La vie de tous les jours et de tout le monde sous l’occupation. Pas de héros, des gens ordinaires comme la plupart des habitants de ces villes, surtout Saint Malo et Brest guettant avec angoisse les incessants bombardements. A noter la présence de nombreuses très belles photos d’époque.
    Je voudrais faire mienne cette phrase d’Hervé Jaouen:
    - «C’est quand les anciens ne sont plus de ce monde qu’on s’aperçoit, à regret, ne pas avoir assez partagé leurs souvenirs».