Retour à Killybegs

Sorj Chalandon

Grasset

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    27 octobre 2012

    Irlande du Nord

    Je le dis tout net, j'ai préféré ce roman au précédent "Mon traitre" du même auteur.
    Plus fouillé, plus détaillé, plus psychologique, également, ce roman nous fait entrer de plein pieds dans le conflit en Irlande du Nord. A sa lecture, on "sent" le climat de l'époque, les quartiers catholiques en lutte contre l'armée britannique ; on "vit" avec le narrateur la révolte des prisonniers nord-irlandais ; on "comprend" la traitrise du dit narrateur.
    "Mon traitre" était plus en retrait, plus "français", comme en dehors des événements. "Retour à Killybegs" nous plonge dans l'histoire de ce conflit.


    Mais que de désespérances dans ce roman : le père alcoolique qui meurt de froid en rentrant du pub ; la mère et ses 7 enfants obligée de se réfugier chez son frère en Irlande du Nord ; de ses 7 enfants, 6 ont immigrés ; la vie elle-même du narrateur qui est ballottée entre prison et attente des soldats anglais ; la vie de la femme de Tyrone qui a peur pour son mari et son fils.
    Au final, un engagement de toute une vie pour une armée qui rend les armes, des amis qui vous tournent le dos.
    Les images que je retiendrai :
    Celle de la solidarité des habitants qui cachent les tenues des jeunes brigades de l'IRA afin que le défilé puisse avoir lieu.
    Celle de la révolte des prisonniers nord-irlandais, couvert d'une couverture et barbouillant leur cellule de leurs excréments.

    http://motamots.canalblog.com/archives/2012/10/25/25403722.html


  • Conseillé par
    27 juin 2012

    "Notre langue était une arme. Les matons le savaient."
    L'Histoire de l'Irlande. Mieux que tous les manuels d'Histoire moralisateurs, mieux que tous les grands discours politiques prémâchés, je vous l'ai déjà dit et redit, je maintiens que la littérature n'explique pas, ne démontre pas, ne théorise pas, ne juge pas, ne convainc pas. Elle raconte. Voilà tout.
    Ce livre a obtenu le Grand prix du roman de l'Académie Française 2011. C'est une plongée terrifiante, suffocante dans les fonds troubles et lumineux de l'IRA, l'Armée Républicaine Irlandaise.

    C'est l'histoire de Tyrone Meehan, combattant de l'IRA devenu LE traître...dont tout le monde a besoin.
    "Je m'appelle Tyrone Meehan. Je suis un agent britannique. J'ai été recruté il y a vingt ans, à un moment délicat de mon existence. On m'a payé pour donner des informations..."
    L'histoire de la cause nationaliste irlandaise va défiler devants vos yeux noyés par l'alcool, embrumés de misère, ahuris de violence, révulsés de révolte. Les cailloux contre les blindés,
    les pubs (en)chantant, les caches d'armes, les prisons et les grèves de la faim, les ghettos de Belfast et les vertes campagnes pluvieuses de l'Irlande du Sud, les drapeaux en berne, les enterrements héroïques, les cris et les chuchotements...
    Un roman tonnant, qui résonne longtemps, longtemps...
    "L'IRA. Ce n'était plus trois lettres noires, bavées sur notre mur à la peinture haineuse. Ce n'était plus un condamnation entendue à la radio. Ce n'était plus une crainte, une insulte, l'autre nom du démon. Mais c'était un espoir, une promesse. C'était la chair de mon père, sa vie entière, sa mémoire et sa légende. C'était sa douleur, sa défaite, l'armée vaincue de notre pays. Jamais je n'avais entendu ces trois lettres prononcés par d'autres lèvres que les siennes. Et voilà qu'un gaillard de mon âge osait les sourires en pleine rue."


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    16 avril 2012

    Erin Go Bracht

    Après avoir découvert S.Chalandon via le grand reportage et son traumatisme lié au "reportage de trop", je savais qu'il avait arrêté cette activité pour la littérature mais quelle ne fût pas ma surprise en lisant tout d'abord "Mon traître" puis son pendant paru l'an dernier.
    Je ne pensais pas que l'on puisse décrire la guerre aussi bien que l'amour et l'amitié, la patrie aimée aussi bien que la division des nations, que l'esprit d'Albert Londres puisse épouser aussi parfaitement celui de la grande Académie (qui l'a couronné de son prix).


    M. Chalandon, tout en métaphore, nous éloigne de Sabra pour nous emmener avec lui dans les rues de Belfast en compagnie d'un homme bourru et contraire mais que l'on apprend à aimer, et que nous pardonnerons au final, même si il ne nous le demande pas.
    Retourner à Killybegs était essentiel pour mieux comprendre le traître d'Antoine (à mon gout pas assez présent dans ce deuxième volet). Il fallait affronter la franchise et le mal-être de Tyrone pour mieux comprendre la naïveté de son "petit soldat de pain d'épice".

    Avec ce roman nous voilà la bouche pâteuse de bière brune, nous voilà les armes à la main pour défendre une cause qui devient nôtre, nous voilà tricolores, mais nous voilà aussi trahis, et nous voilà traitre finalement….
    Bref, nous voilà endoloris.. mais ravi d’avoir fait ce voyage au pays de Connolly.


  • Conseillé par
    1 décembre 2011

    un roman très touchant

    Voici un de mes livres "chouchou" de la rentrée littéraire, car Retour à Killybegs fait partie des livres que l'on oublie pas!
    Nous sommes en 2007. Tyrone Meehan est de retour à killybegs, son village natal, pour y mourir.
    Il nous raconte alors à la manière de confessions : son enfance dans une famille nombreuse, dont le chef de famille est un père vioent et alcoolique, nationaliste passionné, défendant son pays coûte que coûte; son arrivée à Belfast, alors qu'il est adolescent, et sa découverte de l'I.R.A.; les premiers faits d'arme, la violence, la mort, la torture, la prison... Et la trahison, qui le fera vivre dans une culpabilité qui le rongera jusqu'à la fin.
    A travers son récit nous découvrons les conditions de détention effroyables, réservées aux Irlandais dans les geôles britanniques, la vie dans une communauté pas toujours tolérante, qui mélange souvent la défense de leurs idées avec le fait d'être sa propre police, faisant respecter la loi à coup de rêglement de compte.
    C'est un roman poignant que propose Sorj Chalandon, et pour cause, c'est l'histoire de son ami, Denis Donaldson. Il n'essaie en rien de l'excuser, mais à travers ce récit, l'auteur nous propose de comprende pourquoi et à quel moment un homme peut basculer de l'autre côté.

    "La nuit va être longue. La plus longue nuit qu'un homme ait vécue. Et même s'il se relève, le jour ne viendra plus. Ni le printemps, ni l'été, rien d'autres que la nuit."


  • Conseillé par
    4 novembre 2011

    Je n'ai pas lu le roman précédent de Sorj Chalandon, Mon traître, (en fait je découvre cet auteur, si je mets à part ses papiers dans Le Canard Enchaîné) qui raconte la même histoire, mais vue du côté d'Antoine, le Français, l'ami de Tyrone et l'ami de l'IRA. Là, le narrateur est Tyrone et on entre de plein fouet dans la véritable guerre entre l'Irlande et l'Angleterre (voir l'entretien de l'auteur ici qui explique tout cela)

    C'est un livre qui vous prend dès les premiers mots et qui ne vous lâche pas avant la fin. Voici d'ailleurs les phrases qui entament ce roman :

    "Quand mon père me battait il criait en anglais, comme s'il ne voulait pas mêler notre langue à ça. Il frappait bouche tordue, en hurlant des mots de soldat. Quand mon père me battait il n'était plus mon père, seulement Patraig Meehan. Gueule cassée, regard glace, Meehan vent mauvais qu'on évitait en changeant de trottoir. Quand mon père avait bu il cognait le sol, déchirait l'air, blessait les mots. Lorsqu'il entrait dans ma chambre, la nuit sursautait. Il n'allumait pas la bougie. Il soufflait en vieil animal et j'attendais ses poings." (p.13)

    Ensuite, on plonge en plein coeur de la guerre menée par l'IRA, cette armée secrète qui a rêvé d'une Irlande indivisible et unie. Une armée hétéroclite. "Des soldats de l'ombre, des enfants sans pères, des femmes sans plus rien. Tristes et las, nous étions une humanité sombre. Avec la pauvreté, la dignité, la mort, ces compagnes de silence." (p.258)

    L'histoire de Tyrone est indissociable de celle de son pays : il n'a vécu que par lui et pour lui, jusqu'au moment de sa trahison qu'il fait encore pour tenter de le sauver, lui et ses habitants. Les interrogations sont poussées, parfaitement posées. Cet homme est pétri d'humanité bien qu'il ait mené un combat particulièrement violent. Il est rongé par le remords, par les regrets. Un vrai personnage humain, plein de contradictions, de colères, de violences et de tendresses. Un personnage travaillé en profondeur, intense, dense.

    Sorj Chalandon a une écriture simple et forte. Son roman est très dialogué, très documenté : je me souviens de Bobby Sands, mort d'avoir poursuivi une grève de la fin de 66 jours avec en face de lui, une Margaret Thatcher totalement sourde aux revendications des prisonniers irlandais ; plusieurs après lui sont morts également des mêmes conséquences, sans que la dite Mme Thatcher ne fasse un geste !

    C'est un bouquin qui vous prend aux tripes, qui vous remue et duquel vous ressortez à la fois avec la sensation d'avoir lu un très grand livre, mais aussi avec une sorte de gêne, de révolte, un sentiment d'injustice envers Tyrone. Un roman qui permet de se remettre en mémoire un conflit pas si vieux que cela puisque le processus de paix date des années 90, qui se passait à nos portes.

    Un conseil avant que vous n'ouvriez ce livre : prévoyez du temps, parce que vous risquez de ne pas vouloir le refermer de sitôt !


  • Conseillé par
    31 octobre 2011

    Coup de coeur

    Ce roman m'a prise à la gorge dès le départ. Je l'ai lu en apnée, happée cette Irlande que Sorj Chalandon aime tant, mais aussi par sa plume, si belle. En voici un exemple: "J'ai eu un mouvement du menton, rien du tout. Juste une feuille qui tremble sur son bout de branche".
    Happée par des rencontres comme celle entre Tyrone et son ami d'enfance devenu curé. J'ai aimé aussi Sheila, ce très beau portrait de femme qui porte en elle toutes les femmes ou mères des membres de l'IRA.
    Moi qui ai toujours refusé de comprendre tout acte terroriste, Sorj Chalandon a réussi à me faire comprendre comment ces hommes meurtris par la politique britannique en arrivaient à de telles extrémités. Et pourtant, ce roman pointe aussi du doigt les failles de l'IRA qui n'hésite pas à soutenir l'Allemagne nazie: "Quel pays pour nous défendre? L'Allemagne d'Hitler? Bravo! Quelle grande leçon de politique! Soutenir tout ce que notre ennemi combat? C'est ça? La danse avec le diable pour le reste des temps? "
    Voilà un roman où revient régulièrement la comparaison avec les Oiseaux d'Hitchcock car l'Irlande et ce film sont liés par la peur. Mon mari l'a lu et l'a aussi adoré.


  • Conseillé par
    19 août 2011

    2006, Irlande, Tyrone Meehan âgé de quatre-vingt ans revient à Killybegs dans la maison de son enfance et de son adolescence. Il n’y revient pas pour une retraite tranquille mais pour y mourir. Cette figure emblématique de l’IRA était également un traître, donnant des renseignements aux services spéciaux britanniques depuis vingt-cinq ans.

    Kyllibegs, Patraig Meehan est un nationaliste Irlandais, violent envers ses enfants quand il boit de trop et animé d’une haine sans égale envers les britanniques. Entre brutalité et misère,Tyrone grandit. En 1941, Patraig Meehan décède. Toute la famille quitte Killybegs et s'intalle à Belfast chez leur oncle maternel. Agé de seize ans, Tyrone rentre dans l’IRA. Une évidence pour lui. D’abord engagé dans les Fianna, il devient un combattant actif. Au cours d’un affrontement, Tyrone tue par erreur un de ses frères d’armes Danny Finley. Blessé par la police, il devient un héros aux yeux des membres de l’IRA et un homme respecté par les siens. Emprisonné plusieurs fois, il défend avec force et conviction la lutte pour laquelle il se bat. Son fils unique Jack s’engagera lui-aussi dans ce combat. Mais, les services spéciaux Britanniques ont la preuve que Tyrone a tué Danny Finley. Tyrone devient alors un agent double. Tiraillé et partagé.

    Ce livre est une plongée dans une période sombre de l’Irlande. Le récit alterne entre le retour de Tyrone à Killybegs et ses années au sein de l'IRA.
    L'auteur revient sur cette guerre ( les protestions des prisonniers pour revendiquer le statut de prisonnier politique, les grêves de la faim) mais aussi le processus de paix. Si le personnage de Tyrone Meehan est fictif, il y a des personnages comme Bobby Sand qui ont réellement existés.

    Dans une écriture aux mots justes qui colle au plus près des émotions, Sorj Chalandon décrit la vie de Tyrone. Celle du militant et celle de l’homme. Tout en finesse et sans jamais prendre parti, il nous amène sur le terrain de la conscience, du poids de la trahison et de celle de l’amitié bafouée. Un grand livre !